Quand on dit “propagande”, beaucoup entendent mensonge, manipulation, opérations douteuses. À force de répéter que “communiquer, c’est manipuler”, on oublie ceci : la propagande est d’abord une mécanique de mobilisation.
La thèse est simple : la communication ne rend pas le monde transparent, elle transforme un message en action. Elle s’appuie sur des publics déjà sensibles, des infrastructures éditoriales solides, des “armes matérielles” très concrètes. Pour cadrer le sujet côté stratégie, voir notre approche de la communication.
Sommaire
TogglePropagande vs manipulation : remettre la mobilisation au centre
Dans la lignée d’Edward Bernays, éclairée par Ernesto Laclau et Roland Barthes, la propagande n’est pas un mensonge maquillé. Elle décrit comment, en démocratie, le consentement s’obtient par le langage, les symboles, les réseaux, c’est-à-dire par des rapports de force.
Depuis Aristote et Cicéron, on sait que certains lisent mieux une salle, captent les attentes, entraînent les autres. Ce qui change aujourd’hui : l’échelle, la vitesse, la densité des canaux digitaux.
Manipulation : une condition normale de l’action collective
Oui, la manipulation existe, au sens où nous agissons dans l’incertitude des événements et des intentions. Mais la vraie question est ailleurs : comment transformer une parole en mouvement, un message en geste, une idée en action mesurable.
Parler de propagande plutôt que de manipulation permet de regarder la logistique, le travail, les réseaux, les formats. Autrement dit, les “armes matérielles” de la mobilisation.
La communication comme activation : pas un lavage de cerveau
Personne ne reprogramme la foule à la demande. Les campagnes efficaces n’imposent pas des comportements, elles activent des segments déjà alignés sur des valeurs et des idées.
Elles créent des occasions de passer à l’acte, structurent les relais, organisent la preuve sociale. En version radicale, le nudge façonne l’architecture des choix pour rendre certains comportements plus probables.
Fin du mythe de la transparence : un langage traversé de forces
L’idéal de Jürgen Habermas reste inspirant : une sphère publique transparente guidée par une opinion éclairée. Le terrain médiatique réel montre autre chose : le langage est un champ de forces.
Mieux vaut décider à partir de ce qui convertit vraiment, et arrêter la prospective quand elle freine l’exécution mobilisatrice.
Du tweet au manifeste : identification et passage à l’acte
Tweet, tribune, levée de fonds, vidéo, prise de parole scénique : le langage active des mécanismes d’identification et d’imitation.
Il propose des rôles, des symboles, des rituels. La propagande, comprise comme logistique de l’adhésion, devient l’adjuvant pour inspirer, recruter, élargir le cercle.
Boîte à outils de la mobilisation : ce qui fait la différence
- Réseaux de circulation des idées : médias, social media, newsletters, communautés
- Formats éprouvés : levée de fonds, tribune, manifeste, journal interne
- Leaders d’opinion : légitimité morale et capital d’audience
- Noyau de fidèles : effet de démarrage, premiers signaux de traction
- Scénographie de la preuve sociale : montants, signatures, participation
- Rituels d’engagement : don, vote, achat, signature, partage
- Design éditorial : récit, tonalité, éléments de langage, calendrier
Les 4 formats clés, en un coup d’œil
| Format | Objectif principal | Leviers clés | Preuve sociale | KPI d’activation |
|---|---|---|---|---|
| Levée de fonds | Faire donner et relayer | Leaders d’opinion, noyau de fidèles, storytelling | Montant collecté, donateurs, endorsements | Conversion, panier moyen, partages, récurrence |
| Tribune | Créer l’adhésion publique | Figures d’autorité, alignement culturel, timing | Signatures, reprises média, citations | Trafic vers pétition, taux de signature, reach |
| Manifeste | Clarifier vision et fédérer | Performativité du texte, récit de rupture, incarnation | Reprises, citations internes, alignement | Temps de lecture, mémorisation, adhésion interne |
| Journal interne | Informer, mobiliser, acculturer | Rubriquage, rituels, reconnaissance | Taux de lecture, contributions, initiatives | Participation, NPS interne, adoption de pratiques |
Pour transformer ces leviers en routines éditoriales, découvrez notre cadre méthodologique côté contenu.
Cas d’école

1. La levée de fonds
Objectif : faire donner et faire relayer. Deux leviers avancent ensemble.
- Leaders d’opinion : premier cercle qui incarne la légitimité morale et symbolique de la campagne.
- Noyau de fidèles : engagements précoces qui donnent le tempo et rendent la dynamique visible.
Exemple : “Un bout du monde” avec Julia Cagé et Kiss Kiss Bank Bank, en lien avec le Monde. Lancement discret, base solide, prises de parole de figures reconnues, puis amplification via contenus dédiés et relais personnels.
2. La tribune
La tribune combine la verticalité des figures d’autorité et l’horizontalité des signatures. Sous un format simple, elle orchestre des identifications croisées.
La clé : capter l’esprit du temps, le bon vocabulaire, le bon timing.
3. Le manifeste
Le manifeste clarifie mission, vision, raison d’être. Héritier d’une tradition où le texte ne décrit pas seulement la rupture, il la performe.
C’est un outil de mobilisation interne et un mégaphone externe, une position assumée qui fédère par le récit.
4. Le journal interne
Objectifs : informer sur les transformations, mobiliser par des rôles et des rituels, acculturer aux idées clés.
Pensé comme propagandiste collectif, agitateur collectif, organisateur collectif, il devient l’infrastructure de cohésion qui aligne et fait passer de la théorie à la pratique.
L’épreuve du réel : logistique, récit, preuve sociale
Sans logistique, un grand discours reste un beau texte.
La marche de 1963 ne tient pas qu’à “I Have a Dream”, mais à l’ingénierie de Bayard Rustin : sonorisation décisive, planification des bus, centaines de milliers de repas sécurisés.
Un message fait histoire quand une tactique organise sa réception, son amplification, son passage à l’acte.
Le message ne suffit pas, l’action fait la différence
Les technologies ont changé nos canaux, pas les lois de la mobilisation. Levée de fonds, tribune, manifeste, journal interne : la réussite tient à la preuve sociale, à la logistique de diffusion, à l’identification au récit, et à une conversion explicite vers l’acte, don, achat, signature, vote.

