Contre Facebook : le guide pour résister à la propagande algorithmique

Contre Facebook : le guide pour résister à la propagande algorithmique

Quelque chose s’est déréglé.

Les outils de la rhétorique s’éteignent, pendant que la propagande algorithmique colonise nos gestes.

Si l’on ne veut pas finir carburant pour tableaux de bord publicitaires, il est temps d’entrer en résistance.

Cordyceps, version réseaux sociaux

Contre Facebook : comment résister à la propagande algorithmique

Un champignon, ophiocordyceps, pirate le cerveau d’insectes.

La spore entre, détourne l’hôte, le guide, le vide.

Puis un stroma pousse, libère des spores : cycle parfait.

Un soir d’octobre, au balcon d’une salle comble, j’ai vu ce stroma partout.

Pas sur scène, austère et anti‑Instagram, mais dans la fosse : des écrans levés, des stories en série.

On n’assistait plus au concert, on le produisait pour ailleurs.

A côté, une femme filmait, tapait un texte avec tags et émojis, recommençait.

Vingt fois.

Batterie morte, elle est partie.

Les réseaux sociaux sont notre cordyceps.

Parasites élégants de nos instincts sociaux.

Faux débat : la post‑vérité nous égare

Mark Zuckerberg 2019 Keynote

Voir Zuckerberg s’excuser fait sourire : mauvaise piste.

  • Non, nous n’avons jamais vécu sous un régime dominant de vérité : presse et politique pullulent depuis longtemps de désinformation et de récits biaisés.
  • Réduire les médias à un arbitre “vrai/faux” est une erreur de catégorie : les faits sont essentiels, pas suffisants.
  • Pointer l’alt‑right ou des bots pro‑Kremlin rassure : cela masque les causes systémiques.

Le problème n’est pas Cambridge Analytica, le problème est Facebook.

Pas la propagande en soi, mais ses instruments, leur architecture, leurs effets.

Ce glissement nourrit aussi un langage d’entreprise creux : pour comprendre pourquoi il faut changer de discours pour regagner la confiance.

Ce qui a basculé : du discours au stimulus

Pendant des siècles, la propagande parlait : Cicéron, Barthes, Bernays, inventer, organiser, formuler, mémoriser, délivrer.

Jeux d’arguments, réfutations possibles, scène commune.

Aujourd’hui, place au stimulus calibré.

Le discours peut être décousu, pauvre, répétitif : peu importe.

Les mots ne signifient plus, ils déclenchent.

Chaînes de mots‑clés + micro‑ciblage = comportements prévisibles.

Ce renversement s’inscrit dans un mouvement culturel plus large : lire l’analyse du basculement du pouvoir vers le contenu, de Netflix à Instagram.

Tableau de bord : deux propagandes, deux mondes

DimensionPropagande rhétoriquePropagande algorithmique
ObjectifConvaincre par des idées, créer du sensDéclencher des comportements mesurables
MédiumDiscours, récit, images partagéesInterfaces, flux, notifications, A/B tests
CiblageLarge, collectifMicro‑ciblé, individualisé
Unité socialePublic, scène communeIndividu atomisé, “isolé de masse”
TransparenceVisible, réfutableOpaque, back‑end propriétaire
LimiteContre‑argumentation possibleBoucles fermées de confirmation
EffetsMythes partagés, dissensus productifInsignifiance, fatigue, obéissance douce

Données, attention, atomisation

Vous laissez des traces : clics, pauses, likes, trajet de pouce.

Ces “gestes attentionnels” deviennent votre portrait d’utilisateur.

Il suffit que la machine vous connaisse un peu mieux que vous‑même, et c’est gagné.

Conséquence : vous n’êtes plus un être de langage, mais un cerveau biologique piloté par des signaux.

Le sens, qui est social, s’effondre.

Ne restent que des réflexes.

Architecture du choix : la liberté scénarisée

Le génie contemporain : préférer la caresse à la contrainte.

Nudges, UI peaufinées, couches d’interface entre nous et le réel.

“Dopamine” est devenue une promesse commerciale.

Les gamers connaissent déjà ce monde.

Un bon jeu donne l’illusion du choix, tout en guidant strictement.

Metal Gear Solid 2 pointait notre docilité, Bioshock dévoilait le code “would you kindly” : leçon parfaite d’architecture du choix.

Spinoza l’avait vu : nous nous croyons libres parce que nous ignorons les causes qui nous déterminent.

Augmentez le sentiment de liberté, multipliez les causes d’influence : vous obtenez l’obéissance premium.

La mort douce des récits

Pourquoi payer un film publicitaire quand dix secondes bien ciblées suffisent ?

Pourquoi un slogan mémorable quand votre pouce scrolle toutes les deux minutes ?

Conséquence : assèchement créatif, monde numérique au sens strict, composé de chiffres et d’algorithmes.

Efficace, mais terne.

Pour sortir de la punchline et revenir à l’action : en finir avec la parole performative.

Politique : quand la réfutation s’évapore

La propagande rhétorique avait une limite naturelle : on peut la contester.

La propagande algorithmique, non.

Les règles sont invisibles : front‑end lisse, back‑end opaque.

Surtout, on ne cherche plus à convaincre : on vous enferme dans un intermonde personnalisé, où vous agissez comme prévu.

La personnalisation est la forme ultime de l’exploitation.

C’est la porte d’un gouvernement algorithmique des populations.

Le leurre des fake news et la nostalgie sucrée

Des lois contre les fake news : pansement sur une jambe de bois.

Pendant ce temps, une drôle de nostalgie nous prend.

Vieilles pubs mensongères, IA des années 80 : presque sympathiques, parce qu’elles ne vidaient pas nos vies de leur densité sociale.

Triste paradoxe : le mensonge brut paraît plus honnête que le vide sur‑mesure.

Morale provisoire : une ascèse concrète

Avant la grande réforme, adoptons une hygiène de l’attention.

  • Raconter des histoires avec un début, un milieu, une fin
  • Formuler des propositions qui signifient, bannir le bullshit
  • Résister à l’imposture que souffle l’algorithme
  • Lever les yeux, créer des temps sans interface
  • Favoriser l’analogique quand c’est possible : papier, voix, lieux
  • Protéger les zones non artificialisées de nos vies

Pour transformer une intention en résultat : convertir un message en engagement réel.

Pour garder la tête froide face aux prophéties technos : préférer l’histoire à la prospective.

Retrouver la maîtrise du discours

Revenir aux fondamentaux : cohérence, clarté, force des arguments.

Dire des choses qui se tiennent, c’est refuser d’être la variable d’ajustement des marchands de neurones.

Ce n’est pas un retour en arrière : c’est une reconquête.

Redonner au langage sa puissance commune, au débat sa scène, à l’attention sa valeur.

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