Non, la parole politique n’est pas un sortilège : elle ne remplace ni les faits, ni les procédures, ni la volonté des autres. Croire que “dire” suffit à “faire”, c’est fabriquer à la chaîne de la défiance.
En communication comme en politique, la magie n’existe pas, il n’y a que des contextes, des règles, des preuves, des personnes qui résistent.
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ToggleMise au point : quand dire ne suffit pas
Un énoncé peut transformer une situation, mais seulement sous conditions claires. Austin l’a montré : ces phrases ne sont ni vraies ni fausses, elles réussissent ou échouent.
- Je vous déclare unis par les liens du mariage.
- Vous êtes en état d’arrestation.
- Le tribunal vous condamne à…
Pas d’autorité compétente, pas de procédure respectée, pas de contexte adéquat : pas de performativité.
Les fonctions du langage : le mémo utile
Roman Jakobson distinguait six fonctions opérationnelles. Rien de mystique, rien d’incantatoire. Pour y voir clair, voici l’essentiel.
| Fonction | Objet | Exemple | Nature |
|---|---|---|---|
| Expressive | Attitude de l’émetteur | Je suis furieux | Signal d’état |
| Phatique | Ouvrir ou maintenir le canal | Allô ? Vous m’entendez ? | Contact |
| Référentielle | Pointer le réel | Il pleut à Marseille | Information |
| Métalinguistique | Parler du code | “Chat” est un nom commun | Clarification |
| Poétique | Forme du message | Rime, rythme, slogans | Effet esthétique |
| Conative | Orienter le récepteur | Fermez la porte | Incitation |
| Performatif | Transformer une situation | Je vous déclare… | Conditionnel, encadré |
La 7e fonction magique : belle fiction, mauvais mode d’emploi
Laurent Binet en a tiré un roman brillant : la fonction incantatoire totale, séduisante en littérature. Dans la vraie vie, l’énoncé performatif n’est jamais un super-pouvoir. La réalité résiste, les autres disent non, et les institutions filtrent.
Pourquoi la politique se plante souvent
- Les faits résistent : prix, lits d’hôpital, images, chiffres.
- Les autres existent : volontés contraires, contre-pouvoirs, procédures.
- La démocratie fabrique des décisions : elle préfère la délibération à l’incantation.
Résultat : neuf tentatives sur dix échouent, et la facture de crédibilité grimpe.
Demi-culture, totems et citations mal digérées
La sélection et la formation des élites favorisent le slogan érudit. La référence devient badge, puis totem. Weber en est la victime emblématique : “monopole de la violence légitime” est brandi comme un laisser-passer, alors qu’il s’agit d’un processus historique et d’une revendication encadrée. La légitimité se gagne, se limite, se contrôle.
Lors des Gilets Jaunes, blessés par milliers, mutilations, morts. On n’efface pas cela avec un aphorisme. Citer Weber pour minimiser la violence d’État, c’est maquiller un problème politique avec un vernis intellectuel.
Le pouvoir rend bête : le piège de l’irresponsabilité
David Graeber parlait de charge interprétative : le dominé doit décoder, le dominant s’en passe. À force de ne pas s’expliquer, l’intelligence s’atrophie. Ajoutez le confort matériel et l’impunité symbolique : on finit par croire que sa parole crée le monde.
Réseaux sociaux : l’usine à fabriquer du réel
Notre expérience passe par l’écran. Dire peut parfois faire advenir, via effets de réseau, cadrage, micro-ciblage, bots. De Cambridge Analytica aux fermes de comptes, la machine tourne.
C’est la victoire des formats sur la création traditionnelle. Pour comprendre ce basculement, voir de Netflix à Instagram : comment le contenu a pris le pouvoir.
Les “faits alternatifs” ne sont que des énoncés performatifs ratés. Le flux va vite, on oublie, mais Internet retient, et la dette de confiance s’accumule.
La post-vérité d’en haut existe aussi
On accuse ceux d’en bas de complotisme. Commode. Mais il y a aussi une post-vérité premium : “je n’ai pas menti, j’ai tenté l’incantation”. Traduction : j’ai joué, j’ai perdu.
Pourquoi ça tient encore
Si vous survivez au premier gros échec, la suite passe plus facilement. L’accoutumance fait le reste. Trump a tenu. Des ministres tiennent. À force, plus rien ne surprend, jusqu’au décrochage final.
L’âge performatif des démocraties : un paradoxe glaçant
Viser la performativité pour elle-même, c’est refuser la délibération, préférer le contournement, substituer le trucage au consensus. Quand on enrobe cela de “pédagogie”, on infantilise le citoyen.
Pour sortir de l’illusion, mieux vaut préférer l’histoire à la prospective : l’histoire cadre, la prospective déraille vite en prophétie auto-réalisatrice.
Sortir de l’illusion : reconstruire la parole
- La parole politique n’est pas un sortilège.
- Les actes de langage efficaces sont encadrés, conditionnels, vérifiables.
- La démocratie vit de preuves, de contradictions, d’institutions.
Envie de passer de la punchline à l’impact ? Adoptez une méthode claire pour transformer un message en résultat concret, voir de l’idée à l’action : convertir un message en engagement réel.
On peut gagner un cycle d’info à l’incantation, on perd la confiance à long terme. Sans confiance, il n’y a plus de parole publique viable.

